Merzougui Aissa dit Djermouni El Harkati (1886-1946). Mtoussa est un petit village enneigé situé au Nord - Est de la ville de Ain El Beida et au Sud - Ouest de Khenchela, avec un alignement de maisons précaires le long de la grande piste, des touffes de chaume pourri percent la couche de neige recouvrant les toits. Certaines masures n’ont pas de cheminée : la fumée s’échappe par la porte, par les meurtrières basses et les fausses fenêtres entrebâillées. C’est là que naît en 1886, dans une famille pauvre, Aissa Merzougui Benrabah et Benfettoum de la tribu des Ouled Amar entre Nemenchas et Herractas et deviendra plus tard, Djermouni El–Harkati, l’homme au ‘bendir’, troubadour à la muse tracassière et intarissable et qui fera don aux générations suivantes de ses pensées, de son art.
Enfant il est placé dans une petite école coranique que dirigeait Cheikh El Hadj, pour y apprendre le Coran, et la grammaire arabe. Quelques années plus tard la mort vint lui enlever son père –paysan à la voix de ténor –seul et unique soutien. La même année, livré à lui-même, il quitte le taleb, pour donner libre élan à sa rêverie et mieux confier sa douleur, aux litanies et complaintes chaouies. Il fit preuve de dispositions si étonnantes, qu’adolescent à peine, il se fait remarquer par sa voix de linotte et entre dans les grâces tuitou, Hadj El Bouarrissa, Hadj Djebbar…. Poètes qui lui composent ses premières chansons, celles-là patriotiques et révolutionnaires.
Polygame, il épouse en premières noces sa cousine Mbarka. Rabbiâa et Aicha naîtront. Il se remarie quelque années plus tard avec Khoselina (Roselina ?) une italienne de religion hébraïque, de qui naitront deux autre filles. Il reste un amoureux insatiable. Ses engagements, conviction, originalité, tolérance… ont marqué l’espace de plusieurs générations, Il reste l’un des chantres, les plus imperturbables des traditions chaouies car il garde un souci constant, c’est un trait typique, de toujours s’assurer de ses racines, tout en entreprenant inconsciemment - ce qui est général - l’indispensable adaptation à la modernité.
C’est la démarche par exemple de meneurs d’hommes à l’image de Mhand Lakhdar El Fatmi et de Mrabet Essaduq Frach ou de Lalla Khoukha Boudjenit.
Il contracte le typhus, hospitalisé à Alger il décède dans un hôpital à Constantine en 1946. Il est enterré à Sidi Rghiss (Oum El Bouaghi).
De pérégrinations en voyages initiatiques, il quitte le pays en 1924, transite par l’Egypte, le Maroc et s’installe en Tunisie ou il enregistre son premier ‘78 tours’. Nous sommes en 1927. Cochenilles, famine, ventre creux,…et autres images de misère… l’accueillent. La nature y joue un rôle très important par ses décors de ‘grand sinistre’ et de désolation. Parti pour quelque mois, Djermouni y séjournera plus de dix huit mois. Là il sort de son anonymat forcé. Au début, tous se méfièrent. Mais peu à peu, vu sa simplicité, sa bienveillance, sa voix claire et limpide, leur suspicion se dissipa, cédant place au respect. Ils eurent l’occasion de lui prouver leur attachement, gratitude et admiration. Suite à une altercation avec un percepteur, l’administrateur de la province s’était emparé de ses richesses, le jeta en prison. Ses admirateurs, parmi lesquels, Brahim Ben Dèbeche, originaire de Batna, intercédèrent en sa faveur. Il fut libéré et réhabilité. (Cette dernière information est à prendre avec réserve, en l’absence de document faisant foi). En 1929 ‘Ouardaphone’ lui enregistre un nouveau ‘78 tours’ : ‘Ahway, Ahway’ ‘Khelini Nhoum’…
En 1930, c’est la consécration en France où il enregistre plus de 35 chansons en ‘78 tours’ chez ‘Haroun José Edition’. Il a déjà plus de 120 chansons dans son répertoire. Ce dandy trapu, aux cheveux noirs, au visage pâle, à la moustache portée à la « turque’, au regard ferme et énergique va en 1937 faire son entrée à l’Olympia. Par la grande porte. ‘Akerr Anouguir’ ; ‘Salef dhaberkane’ ; ‘Hill li ma aandouche wail’ ; ‘Ain El Kerma’ ; ‘Ma tgoulou dhelou’… séduisent le public. Le style, mieux encore, le mythe Jarmouni est né. Porté aux nues par ses fans, il les invite à perpétuer sa tradition.
Source : L'histoire, les Aurès
et les hommes, Mohamed Nadhir Sebâa