Batna - Les députés et le nid de cigognes
Mercredi, 02 Mai 2007

Un soleil timide submerge le modeste aéroport de Batna. Il faut attendre sur le tarmac la venue d’un grand bus pour éviter aux passagers de faire quelques pas vers l’aérogare. Dehors, peu de taxis. Pour 600 DA, les « clandestins » transportent les arrivants vers la capitale des Aurès. Si la route principale est dans un état acceptable, les routes secondaires sont dans un état déplorable.
Finalement, le discours envahissant sur l’autoroute Est-Ouest sert à éloigner les regards de la situation désastreuse des routes et des chemins de l’arrière-pays. Ici, on se rappelle que le général Liamine Zeroual, ex-président de la République, avait contribué à construire des ponts dans la région. Liamine Zeroual, discret, vit toujours dans sa villa à Batna. « On ne sait pas ce que sont devenus les sommes d’argent versées pour le développement local », nous dit un jeune Batnéen, qui dit être au chômage depuis 12 ans. En octobre 2006, le président Abdelaziz Bouteflika est allé à l’université de Batna dire ceci : « Le taux de chômage est certes élevé, mais nos jeunes refusent le travail manuel qui est dévalorisant à leurs yeux. » Discours oublié dans cette région où l’on retient toujours que le locataire du palais d’El Mouradia avait parlé en termes inélégants à propos des Chaouis lorsqu’il les a accusés de faire dans « la chitta » (brosse). Le portrait de Abdelaziz Bouteflika, en version pâle, traîne sur les murs de la mouhafadha FLN de Batna. Il date de 2005, année du référendum sur la charte pour la paix et la réconciliation nationale. Personne n’a pensé à décoller ces portraits que le soleil a rendus sans âme. Curieusement, le slogan de ce référendum est le même que celui des législatives du 17 mai 2007 : « Min ajli El Djazaïr » (Pour l’Algérie). Se peut-il qu’un Etat soit à ce point dépourvu d’imagination pour être incapable de renouveler son stock de slogans ? Les affiches sont presque identiques : un fond d’un bleu incertain et les trois couleurs de l’emblème national. La communication politique n’est pas au bout de sa misère en Algérie. Mitoyenne avec un commissariat de police, la mouhafadha du FLN est située sur le grand boulevard de Batna, en face de la supérette Vénus et de l’hôtel l’Herbe verte. A l’intérieur de cette bâtisse de deux étages, peu de monde. Les peintres occupent les lieux. « Cela fait un siècle que la mouhafadha n’a pas vu un pinceau de peinture ! », plaisante un militant. « La propreté, c’est bien ! », dit un jeune. Un bureau désert, encombré de chaises à moitié cassées, fait office de « kasma » local. Le vieux Amer garde les lieux. « Il n’y a aucun responsable qui peut vous recevoir », lance-t-il. Mais comme au FLN, il faut insister... il revient : « Ah, Si Mahmoud Khoudri pourrait vous recevoir dans l’après-midi. Il est tête de liste pour les élections. » Après deux tentatives, l’actuel ministre de l’Industrie ne nous recevra pas. Aucune explication n’est donnée. Mahmoud Khoudri, 59 ans, se présente pour la troisième fois aux législatives. Cela suffit pour créer la colère. « Ne peut-il pas laisser la place à des compétences », chuchote-t-on. L’étonnant est que Mahmoud Khoudri, qui risque fort bien d’être député puisque Abdelaziz Belkhadem dit que le FLN va « tout rafler » au scrutin législatif, est peu connu dans sa propre ville. Des jeunes nous ont affirmé n’avoir jamais entendu parler de cet homme. Il est vrai qu’un ministère de l’Industrie ne permet pas d’être célèbre en Algérie. Passons. Mohamed El Hani, qui coordonne les préparatifs d’avant le début de la campagne électorale, ne discute pas le choix de Khoudri. « C’est la direction nationale qui a tout fait », précise-t-il. Des protestataires, vite étouffés par les mécanismes locaux de répression, avaient dénoncé « la liste de la honte » et exigé la disqualification de Mahmoud Khoudri. Des demandes sont ignorées par l’équipe de Belkhadem, mais le malaise, en dépit des apparences, persiste. Mohamed El Hani, lui, préfère énumérer les noms des autres candidats : Tahar Khaoua, Chérif Ouazzane, Abbas Chafaâ... Les spécificités de l’arrouchia (tribus) sont, d’après lui, prises en compte dans le choix. Mais l’homme ne semble pas vraiment convaincu puisque tout a été décidé à Hydra, au siège national du parti. Y a-t-il une démocratie au FLN ? Presque pour demander « pardon », le secrétaire général du FLN, Abdelaziz Belkhadem, a envoyé des cartons luxueux aux militants... Sauf que le couteau reste dans la plaie.

Les cinq axes du RND
Le RND de Batna partage le même le bâtiment que « tachghil echabab » (l’emploi de jeunes). A l’entrée de la bâtisse, sur un mur blanc, une main a écrit : « Ne jetez pas les ordures, nous sommes des humains. » Le responsable local du parti d’Ahmed Ouyahia s’appelle Belloumi. Ce n’est pas Lakhdar, le footballeur, mais Noureddine. Le parti, d’après ses dires, a partagé la liste des prétendants à l’hémicycle parlementaire en cinq axes : Arris, Merouana, Batna, Barika, Maâdher. Ben Hassir, ex-sénateur, Belkacem Berkat, Ali Toumi, Ali Gouri et Mohamed Bourras sont censés représenter ces zones avec tous les arrouch agglomérés autour. On nous parle, en désordre, des Djebaïlia, des Ouled Slam, des Ouled Chlih, des Hrakta et des Ouled Derradj. « Nous sommes le seul parti de la région à avoir adopté cette méthode. Personne ne sera exclu et nous avons fait à ce que chaque candidat soit consensuel », dit fièrement Noureddine Belloumi. Bonne méthode ? Il en est convaincu. Son argument : le choix va assurer « un équilibre » entre les différents arrouch. « Il existe 61 communes donc 61 arrach », indique, de son côté, Meddour Djemaï de l’APC de Maâfa. Selon lui, le RND a installé des « khalaya » (cellules) dans plusieurs quartiers de Batna comme Barka Fouradj, Ennasr et Bouakal. « Nous allons privilégier le travail de proximité. Les meetings ont un écho limité. Nous allons assurer des permanences... », promet Noureddine Belloumi. Il est fier d’annoncer qu’une architecte, Mme Bensalah, figure sur une liste à « une place honorable » : sixième. Cette dame, qui a des liens familiaux avec Chadli Benjedid, ancien président de la République, dirige une association de soutien à l’enfance en difficulté. Le RND, comme son aîné le FLN, semble pris par la tentation « d’investir » dans le mouvement associatif. Sans faire de bruit. « Nous sommes présents dans 153 associations », précise M. Boudersa de Timgad, lui-même membre de l’Organisation nationale des enfants de moudjahidine (ONEM), dirigée, depuis des lustres, par Khalfa Mebarek, fidèle parmi les fidèles d’Ahmed Ouyahia. Le RND Batna revendique une présence au sein des ex-organisations de masse du FLN, parti unique : UGTA, UNFA et SMA. Le parti a même son représentant au sein du club de football, CA Batna... « Nous avons contacté les arrouch de Tkout et on les a convaincus de participer aux élections », raconte Noureddine Belloumi. En 2004, la région de Tkout, au cœur des Aurès, a connu une période de troubles. Les jeunes s’étaient soulevés contre la répression et la torture imputables à la garde communale et à la gendarmerie après l’assassinat d’un des leurs. Depuis, Tkout, qui vit presque isolée comme pour payer sa « rébellion », ne bénéficie que de peu d’intérêt des autorités locales. Tkout, comme les autres régions de Batna, n’a pas encore perçu les bienfaits des 150 milliards de dollars annoncés à grands renforts publicitaires par le gouvernement pour « booster » le développement. Demain, peut-être ? A El Madher, immense plaine fertile, les oliviers se perdent, faute d’entretien, mais cela ne fait pas de débat. Passons. Des membres des arrouch de Tkout ont sollicité le PST de Chawki Salhi pour se présenter aux élections et se faire entendre. Les députés sortants de Batna n’ont presque pas laissé de traces. « On ne les connaît pas. On les a jamais vus. Je ne peux même pas citer un nom », nous dit Salim, étudiant à l’université de Batna.

L’argent de « la surveillance »
Les gens me disent : « Si vous êtes élus, n’oubliez pas de nous dire salam alikoum », concède Messaoudi Khelifa, tête de liste d’Ennahda. L’homme reconnaît le décalage qui existe entre les députés et la population. Cet enseignant de mathématiques à l’université de Batna estime que seule compte la compétence et l’honnêteté pour représenter le parti. « Nous étions les premiers en 1997 à Batna. Et nous voulons retrouver notre place », affirme-t-il. Laminé par une crise interne, après la départ de Abdallah Djaballah, Ennahda aspire à retrouver une place dans une scène locale d’apparence ouverte. Le parti a choisi Boucetta Boubekeur, comme numéro deux, dans la liste des candidats. « Il représente le arch des M’rabtine et jouit d’une bonne réputation », précise Messaoudi Khelifa. Arrivent ensuite, Mebarek Gatel, enseignant au secondaire, des Ouled Lobiod, présent dans la région d’Arris, et Maâla Abdelhamid de Tkout. « Les citoyens ignorent le rôle du député. Certains pensent qu’il représente le gouvernement... », dit Messaoudi Khelifa. Cette croyance est née du fait que les députés, souvent « costumés, cravatés et burnousés », se confondent, à chaque fois, avec les délégations officielles et sont présents autour des tables garnies du wali. « Les députés n’ont rien fait pour attirer l’attention sur la fermeture de l’usine de jus de Ngaous depuis deux mois et où les travailleurs observent une grève ouverte », proteste un cadre qui estime que l’investissement dans le domaine agricole est abandonné. « Les jeunes ne veulent pas se former ou avoir des diplômes. Ils disent que cela ne sert à rien puisqu’il n’y a aucune possibilité d’embauche ici », ajoute-t-il. Tous les dispositifs de Djamel Ouled Abbas relatifs à ce qui est appelé « l’emploi » ne semblent pas recruter trop de partisans dans la capitale des Aurès. « On ne voit rien venir », nous explique le jeune Thamer. « A quoi cela sert-il d’être payé à 2500 ou 3000 DA, alors qu’il n’existe aucune perspective de recrutement », affirme-t-il. Lui, comme d’autres, colle aux partis pour être choisi parmi les représentants qui siégeront dans les commissions locales de surveillance des élections. Cela paye bien : 30.000 DA. Lutter contre le chômage figure parmi « les priorités » des candidats d’El Islah — nouvelle version. Djamel Soualah mène la liste du parti de Boulahia. Abdallah Djaballah ? « C’est du passé ! », nous dit-on au nouveau siège du parti, situé dans un immeuble baptisé Al Moustakbal (l’avenir). Le siège est assez vaste avec à l’entrée une salle de prière, deux bureaux et des murs nus. Un jeune homme, assis devant un micro-ordinateur, assure la permanence. Loukia Zinet, président de l’APC de Barika, est classé à la deuxième place sur la liste des candidatures. « Barika est un réservoir électoral important », estime-t-on. Il en est de même pour Merouana, Ngaous et Aïn Touta, où le parti islamiste est présent. El Islah considère le FLN comme le seul concurrent dans la région.

Bouakel, bus 742

Le siège du MSP se trouve à Bouakel, à plus de quatre kilomètres du centre-ville. Pour s’y rendre, il faut prendre le bus 742 du « nakl al hadhari » (transport urbain). L’agence routière est dans un état d’abandon total, comme s’il n’y avait aucune autorité à Batna : des produits étalés par terre, des vendeurs à la sauvette, des tas d’ordures. La bâtisse, elle-même, ne sert presque à rien puisque la nouvelle gare routière a été installée loin de la ville. Mais la pollution est restée en place. Une drôle de conception urbanistique. Pire : l’oued qui traverse la ville est devenu un immense dépotoir. Sans gêner personne. L’APC, sans douter pour faire un peu d’humour, a accroché sur sa façade une grande affiche aux couleurs de l’arc-en-ciel où il est écrit : « Batna, ville amie des enfants ! » Dans les rues, il n’y avait rien qui indiquait l’existence de cette amitié... Une horloge à l’arrêt et trois clochettes décorent la bâtisse qui abrite l’APC. Autre curiosité : un grand nid de cigognes est fixé sur son toit. Ce qui est amusant c’est que le nid de cigognes est la seule chose que partage l’APC de Batna avec le siège du Théâtre régional où les portes sont tristement fermées... Sur les murs de la cité des 742 Logements à Bouakel, hommage est rendu au Hip-Hop et à 2 Pac. A l’entrée, une affiche annonce : « Haï el mouattine al nadhif » (le quartier du citoyen propre). Plus loin, des sachets d’ordures côtoient des flaques d’eau boueuse... La faute au citoyen ? Que font les services communaux de nettoyage qui, subitement, deviennent plus visibles à l’approche des élections... ? Au MSP, situé au cœur de cette cité, on est convaincu que Abdelmadjid Menasra, ancien ministre de l’Industrie, est le meilleur pour diriger la liste. « Nous avons fait une étude sur le terrain. Et nous avons constaté que Si Abdelmadjid est bien accueilli. On lui reconnaît une capacité de suivi des problèmes de la région. Il a aidé l’association des cadres agricoles à avoir un agrément. Comme il a contribué à recruter des jeunes », explique Djamel Eddine Ben Ameur, président du bureau de wilaya du MSP. A Barika, le parti de Boudjerra Soltani sera représenté par Lazhar Dourrari, à Merouana par Zoubir Adja, un vieux routier du mouvement islamiste et à Aïn Touta par Noureddine Houadef, un cadre du secteur de la santé. Aucune femme ne figure dans la liste des candidatures. « Tous les arrach sont représentés dans nos listes : Djebaïlia, Ouled Mohamed, Ouled Selam, Hrakta... Nous avons même discuté avec les notables qui les représentent. Certains arrach sont dotés de structures », estime Djamel Eddine Ben Ameur. Il craint, comme d’autres cadres de partis, l’abstention au vote. « Le boycott n’est pas la solution, mais il faut éviter la fraude. En 2002, l’administration a offert 8000 voix au FLN. Le contrôle des urnes est nécessaire, mais les partis ne sont pas forts », explique-t-il. Mohamed Boulahia, le remplaçant officiel de Abdallah Djaballah à la tête d’El Islah, est venu à Batna appeler les citoyens à une « forte participation » au scrutin. Au FLN, on suggère que le porte-à-porte sera fait pour convaincre les hésitants. A Batna, il y a des milliers de portes et de fenêtres. Il y a même des sorties de secours !

Faycal Metaoui
Source : El Watan

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