Reportage : Des "citoyens" en quête d'eau et de route
"Nous ne nous considérons pas comme algériens"
Lundi, 24 juillet 2004

Nous pouvons évoquer les souffrances et les dures conditions du citoyen algérien à travers tout le territoire durant le siècle et demi d'occupation coloniale. Un siècle et demi d'escalavagisme et de mépris. Cependant, et après quarante quatre d'"indépendance", des habitants d'Eshayriya, située entre les communes de Tébessa, Bekkariya et Lekwif, et rattachée administrativement à cette dernière, vivent toujours dans les mêmes conditions est anormal. L'analphabétisation, la maladie, la soif et l'isolement. Le lieu en question est distant, au maximum, de cinq kilomètres des chef-lieu des trois communes. Le reportage suivant vous donnera une idée sur les souffrances de soixante familles, plus de six cent personnes, vivant de l'agriculture et élevage. Récit...

Sur la nationale 82, à 2km vers le sud, nous empruntons un chemin traversant, le long de six kilomètres, les tribues de K'mamecha, Kedri, Bouaâ, Menaâi puis Z'ghouda, Saci, Leblaghthiya et Nesla. Un rude et triste voyage. Le chemin est dépourvu de vie, impraticable, même à pieds, et endommagé à cause des cours d'eau, des nids de poule. Les habitants vivent un isolement et une exclusion sans précédent. C'est la récompense, à juste titre, du lourd tribu payé par ces tribues pendant la guerre de libération (martyrs, combattants..). Pour s'approvisionner et survivre, il leur reste les ânes et les mules.

L'analphabétisation, pour ne pas dire l'ignorance, s'est enraciné parmi les enfants qui ne connaissent pas l'école. Absolument pas. Sauf les plus chanceux, comptés sur les doigts, qui s'installent chez leurs proches en dehors de la région. Le rêve de la petite fille Linda Manâi, huit ans, en deuxième année primaire, qui poursuit ses études à Wed Edh'heb, chez sa grande-mère maternelle, est de devenir un médecin ou professeur. "Ils nous ont privé de l'école et des études. L'école, construite en 1970 et fermée depuis 1974, est transformée en logement pour un des habitants et en étables pour les animaux", nous annonce avec amertume, regard perdu explorant l'horizon des terres agricoles, l'enfant Twifik Ataiya, treize ans, un livre de l'alphabet à la main et qui se donne la peine de les apprendre. Deux exemples parmi tant d'autres qui illustrent l'état de l'enseignement et le sort des enfants condamnés à rester pasteurset porteurs d'eau.

Concernant la santé, c'est là où la vie se termine. Aucune salle de soin, ni ancienne ni récente. Les malades meurent et peinnent à aller voire le médecin même pour se faire des piqûres. Un vieux de quatre vingt dix ans est au lit depuis cinq ans souffrant le martyre, lui et sa famille, qui n'arrivent plus à assumer ses soins. Pour la vaccination des bébés et les consultations médicales, les femmes se déplacent à pieds, quelque soit la saison, pour joindre la route nationale et attendent à ses bords, des heures et des heures, le passage du car. Gare à celui ou celle qui tombe malade la nuit. Sa vie ne tient qu'aux palliatifs et aux vielles recette médicinales des personnes âgées, en voie d'exteinction. Les habitants rêvent que leurs régions bénéficient de quelques services pour oublier ce que le colonialisme leur a infligé.

L'inacceptable et l'insupportable, humainement, est la crise d'eau engendrant la soif de toute la région et de tous les habitants sans exception. Le seul puit est unitilisable depuis un an et la plateforme d'alimentation des quatre robinets, dispatchés sur les mechtas, est devenue infonctionnelle par manque d'une pièce dont le prix est dérisoire comparé aux dépenses de la mairie. Cette pièce a été acheté auparavant par les habitants qui ont réussi à collecter vingt quatre mille dinars pendant trois ans. Une fortune pour eux. L'eau est acheminée, de Tébessa et de Bekkariya, sur les ânes pour les pauvres et dans des citernes, loués mille dianrs, pour les plus modestes. Le cheptel, dix mille moutons et chèvres et environ cinq cents bovin, seule ressource des habitants, sont abreuvés à l'eau usée déversée dans le wed de Belkariya sur cinq kilomètres.

La dureté de la vie a favorisé l'exode de certains habitants qui, contre coeur, ont abandonné terres et maisons en quête d'un minimum de confort et d'une existence meilleur, d'autres, plus attachés à leurs terres, héritage ancestral, continuent à se battre contre vent et maris, à résister et défient, dans le malheur mais avec courage et bravoure, la nature.

Les programmes et les plans de développement agricole, cette région n'en a pas vu la couleur que se soit pendant la "glorieuse" "thawra ziraâiya" (révolution agraire) ou après. Ne serait-ce que pour prévenir les terres agricoles des méfaits des glissements de terrain et l'érosion des sols qui affectent l'environnement et le développement des plantations à défaut d'un climat, en continuel dégradation, favorable. D'où l'appel désespéré des habitants pour le reboisement.

Le climat particulier de la région, entre un froid glacial et une chaleur de plomb, impose le recours à des moyens matériels et humains trop importants, notamment l'exploration des ressources d'eau et le creusement des puits. L'eau reste la priorité des priorités d'autant que les habitants sont prêts à se lancer dans la plantation des pommes de terre et le sol y est favorable.

Les K'mamechas sont victimes des découpages administratifs successifs. Les administrateurs locaux, des trois communes, ont jeté l'éponge et se renvoient la responsabilité les uns les autres quant aux projets, notamment les logements ruraux, passent sous les nez des habitants qui vivent dans des gourbis hérités de l'époque coloniale alors qu'ils sont à trois kilomètres du chef-lieu de la wilaya (département).

Les habitants regrettent et déplorent leurs conditions de vie et mettent à l'index les autorités locales et départementales comme seuls responsables de cet état ; ils défient quiconque des responsables, quel que soit son poste de responsabilité, prétendant avoir mis les pieds dans la région et ce depuis l'indépendance. Aucune réponse n'a été faite à leurs correspondances et leurs revendications. Les habitants ne se considèrent pas comme algériens.

Les habitants profitent de la visite du journal pour lancer une invitation aux autorités pour qu'ils viennent sur place partager avec eux l'insupportable quotidien.

Omar Zoghlani
Traduit librement de l'arabe par Ichawiyen Autrement
Source : Akher Sâa