Ce Sétif que ne verra pas Bouteflika
Dimanche, 24 Juin 2007

La ville de Sétif fait sa mue pour accueillir le président de la République. L'arrivée imminente du président Abdelaziz Bouteflika met la capitale des Hauts-Plateaux en ébullition. Les préparatifs pour bien accueillir le chef de l'Etat et la délégation qui l’accompagnera vont bon train. Sétif, qui représente un important pôle économique du pays, se fait belle à cette occasion. Lancée il y a quelques mois, l’opération "Sétif, ville propre" est passée à la vitesse supérieure. Sur la route qui mène de l’aéroport de Aïn-Arnat jusqu’à Sétif, tout est impeccable.
Des cantonniers désherbent les espaces verts et plantent la pelouse. Dans le centre-ville de la capitale des Hauts-Plateaux, des tracteurs nivellent les grandes avenues, suivis de camions-bennes qui jettent de la limonite sur la chaussée… Des bâtiments publics ont reçu une couche de peinture, ainsi que les bordures des routes. Quant à l’éclairage public, il a refait surface, et l’eau coule à nouveau des robinets, durant tout le séjour présidentiel. Mais cette opération de grand toilettage ne touchera pas les autres cités de la ville, celles ne se situant pas sur le parcours du cortège présidentiel. Les éternelles oubliées que le président ne pourrait pas voir durant son séjour à Sétif. «Cacher moi cette misère que je ne saurais voir» ! Telle est la devise des responsables locaux de la wilaya de Sétif en prévision de cette visite présidentielle. Les autorités locales n’ont pas lésiné sur les moyens pour donner une belle image de la ville. Maquillage tous azimuts, bitumage des routes, celles empruntées par le président bien sûr, réalisation en un temps record de deux ronds-points, dont un à la cité El- Hidhab, qui sans aucune étude ne sera d’aucune utilité pour les usagers de la route, et enfin l’importation de Chine d’un arbre artificiel fonctionnant au laser ayant coûté la bagatelle de trois milliards de centimes. Entre-temps, les habitants de la daïra de Aïn-Arnat, de la cité des 400-Logements, Bizard, Andréoli et autres quartiers de la ville, souffrent le martyre. Les travaux de réfection des routes s’éternisent depuis des mois plongeant les riverains dans des brouillards de poussière. Insalubrité, immondices et misère. Tel est le lot quotidien des habitants de la rue Abacha-Amar. Dans ce quartier populaire, fut implanté un marché de l’informel, un véritable point noir de la ville. C’est un grand bazar à ciel ouvert installé de façon anarchique au cœur de la ville. Celui-ci jouxte le nouveau siège du tribunal de Sétif et les cités résidentielles. Ce souk polarise toute la population sétifienne. C’est ainsi qu’en son sein, se sont développées rapidement des activités commerciales qui ont fini par faire de ce lieu un marché bien établi. Dès l’aube, des centaines de vendeurs prennent d’assaut le site, étalant leur marchandise dans un vacarme indescriptible, au grand dam des habitants de la cité qui sont obligés de s’accommoder de cette situation après la démission totale des pouvoirs publics. Vers le crépuscule, le “marché” lève le camp, laissant derrière lui un véritable désastre. Sachets en plastique, cartons, fruits et légumes pourris, et autres produits jonchant le sol. On se croirait dans une décharge publique. Vers la nuit tombée, les employés de la commune s’attellent à faire disparaître, mais à quel effort, toute cette montagne de saleté et de détritus, en sachant pertinemment que le lendemain ce sera le même décor. Le souk a, en outre, créé d’innombrables bouchons et embouteillages, paralysant chaque jour, surtout aux heures de pointe, la circulation automobile. Conscients du problème, les autorités locales ont soi-disant trouvé la solution : la réalisation d’une trémie pour désengorger cet endroit. Après des mois de travaux et avec 14 milliards de centimes de coût, la trémie fut réceptionnée. Malheureusement à l’heure actuelle, elle n’est d’aucune utilité. Désertée par les voitures, bus et autres véhicules, la trémie fera peut-être son entrée au musée en tant qu’épave architecturale. Assaillie de partout, investie outrageusement, Sétif se découvre à gérer un quotidien qui lui échappe totalement. Méconnaissable, elle prête désormais le flanc à une métaphore qui l'éloigne, un peu plus de ce qui a fait sa particularité et sa richesse.

I. S.
Source : Le Soir d'Algérie

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