Sigus - Edification d'un jardin epigraphique sur la nécropole Romaine
Une violation de la mémoire universelle

Samedi , 06 janvier 2007

L’état des deux sites archéologiques de Sigus dans la wilaya d’Oum-El-Bouaghi, une localité distante de 36 km de Constantine sur la RN10, à savoir la cité romaine et la nécropole mégalithique illustre, à bien des égards, la négligence et le laisser-aller des pouvoirs publics en ce qui concerne la préservation du patrimoine historique de l’Algérie.
L’édification, ces jours-ci, d’ouvrages en dur sur des vestiges du site abritant la cité romaine qui s’étend sur une superficie de 2,4 hectares et qui n’est même pas classé patrimoine archéologique national, constitue en fait une grave violation de la mémoire universelle. Aucune démarche n’a été entreprise à l’effet de protéger ce site ou encore de le classer sous prétexte du manque de financement et de bureaux d’étude spécialisés. Ces monuments qui témoignent de la profondeur historique de l’Algérie continuent de souffrir des sévices des érosions de la nature et de l’intrusion de l’élément humain. Les 50 dolmens qui restent encore éligibles à la réhabilitation sur les 1200 sépultures qui existaient bien avant la colonisation romaine, risquent de disparaître. Des travaux de réalisation d’un jardin épigraphique sur la nécropole située au piémont de la cité romaine à l’est de Sigus, sont à pied d’œuvre depuis près un mois. Il s’agit en principe de mettre en valeur et de nettoyer le site archéologique de cette ville. Les autorités locales visent par le biais de cette opération de protéger le site ou du moins ce qui en reste. Il est prévu l’achèvement de la clôture, l’édification d’un kiosque archéologique, des sanitaires et des allées piétonnes. Le budget alloué à cette opération est de l’ordre de 5 millions de dinars. Selon le directeur de la culture de cette wilaya, M.Bougandoura, c’est en 2002 qu’il avait été pris en charge par le ministère de la Culture pour la première fois et un budget de 5 millions de dinars avait été mobilisé pour sa revalorisation sous l’appellation de «Maqâm Sigus». Il s’agissait d’ériger une clôture pour mettre à l’abri les pierres taillées déterrées sur lesquelles sont calligraphiées des inscriptions latines. L’entreprise engagée dans cette opération, l’ETP Assas Hammana, avait interrompu les travaux en janvier 2003, après la consommation de la totalité du budget alloué par la tutelle. Cette entreprise a poursuivi en justice la Direction de la culture d’Oum-El-Bouaghi réclamant la régularisation de ses dus relatifs à la réalisation de travaux complémentaires. D’après M. Bougandoura, «le litige a été réglé en faveur de son administration, sachant que l’entrepreneur, a-t-il ajouté, a approuvé le service fait». Ainsi, la clôture réalisée ne répond pas, aux yeux des spécialistes en la matière, aux normes retenues pour l’édification d’un siège de site archéologique dans la mesure où ce dernier reste invisible de l’extérieur du mur d’enceinte.
Massacre à la nécropole romaine
Cependant, les barreaux utilisés pour l’achèvement de la clôture ne sont pas identiques à ceux ayant servi pour la première fois bien que c’est le même bureau d’étude qui assure le suivi du projet et ce, depuis l’année 2002. La construction du kiosque en dur sur la nécropole située au pied de la cité romaine au moment où cette dernière n’est même pas classée patrimoine archéologique est une atteinte à la mémoire universelle. Les archéologues crient déjà au scandale ! Ils estiment que cette démarche de mise en valeur ne concerne que la nécropole alors qu’il fallait prendre en charge la totalité du site inhumé sous le mamelon «d’El-Azeri» à l’est du village. Le directeur de la culture a indiqué que son administration n’a pas entamé les démarches pour le classement de ce site car le dossier ne dispose pas d’une étude exhaustive et fiable. «Un travail qui doit être accompli par des spécialistes et nécessite la mobilisation de crédits importants, mais malheureusement, déplore le même responsable, le manque de financement et de bureaux d’étude spécialisés à l’Est algérien ont empêché la démarche». Il est à noter que les autorités locales de la daïra de Sigus ont enregistré, en mai 2006, la découverte d’ossements à proximité de ce chantier inachevé bien avant le lancement de la deuxième tranche du projet. Des désœuvrés, dit-on, creusaient à proximité du site en quête de pièces de monnaie antiques, prisées par des acquéreurs étrangers à la région. Des archéologues de la Direction de la culture ont été dépêchés sur les lieux et les ossements ont été soumis à expertise. Rappelons que la première découverte d’ossements remonte à 1990, date du début des travaux de décapage entamés par les bénéficiaires de terrains destinés à la construction. En fait, 31 lots ont été distribués à des membres de «la famille révolutionnaire». Et comble de l’ironie, ces riverains ont arrêté les travaux pensant qu’il s’agissait d’une fosse commune datant de l’époque coloniale, ce qui avait suscité une vive polémique. Les recherches de M.Soltan Sabri, qui était journaliste à l’époque et occupe actuellement les fonctions de directeur de la maison de la culture à Oum-El-Bouaghi, effectuées dans les archives du musée des beaux arts à Alger, ont établi que ce site abrite très probablement une cité romaine, ce qui avait conduit à l’annulation des attributions des lots de terrains sur décision du wali de l’époque, M. Mohamed- Tahar Sekrane. Une commission a été dépêchée par l’Agence nationale de l’archéologie et du patrimoine historique (Anaph) pour établir un état définitif de ce site, mais nous dit-on, rien n’a été entrepris depuis, pour la suite de la démarche à entreprendre. En attendant, le site de Sigus continue de subir des dégradations.
La cité romaine inhumée sous le mamelon d’El-Azeri
Selon les écrits de Stéphane Gsell, une notoriété de la société archéologique de Constantine sous la colonisation, qui fait référence à un évêque cité dans l’Atlas archéologique de l’Algérie (AAA), Sigus est «Castellum Repulica», un municipe romain sous le Bas- Empire (235-476), qui contiendrait, entre autres, une assemblée et une basilique datant de la civilisation romaine. Sigus est également repérable sur la carte illustrant le réseau routier de l’Afrique romaine au musée de Cirta à Constantine, en tant que point de liaison entre l’antique Cirta et les différentes cités romaines de l’Est, à savoir, Gadiovfala (Ksar-Sbaïhi) Tigisi (Aïn-El-Bordj), Tenebreste et Theveste (Tébessa) sur l’itinéraire d’Antonin en passant par Macomades (Oum-El-Bouaghi) et Marcemeni (Aïn-El-Beïda) et Bagaï en allant vers Mascula (Khenchela). Ces vestiges, laissés à l’abandon, continuent de se dégrader tant par le fait de la nature que par l’intrusion inopportune de l’homme. Il est à rappeler aussi que ce site, jadis traversé par le chemin de fer, a fait l’objet de la campagne de reboisement des terres brûlées après l’indépendance entre 1962 et 1967 de même qu’il a vu l’utilisation d’un bon nombre de ses pierres taillées pour l’édification d’un grand mur de soutènement par l’APC du FIS dissous en 1991. Par ailleurs, il convient de noter qu’à Sila, à 8 km au sud-ouest de Sigus, se trouvent des vestiges de la cité romaine de Sila, un fort byzantin et 4 basiliques chrétiennes. L’une d’elle est située à 1000 m à l’ouest du fort et possède trois nefs. La nef centrale est prolongée à l’est par une abside de forme arrondie, au sud par une sacristie et au nord par un baptistère. L’édifice mesure au total 21,30 m de longueur et 14,30 m de largeur (St. Gsell : AAA.F17.n°333).
Disparition de la nécropole mégalithique
Sigus dispose également d’une vaste nécropole mégalithique qui remonte à l’ère protohistorique, phase intermédiaire entre la préhistoire et l’histoire, marquée par l’avènement des toutes premières manifestations architecturales, donc du passage de l’état nomade à la sédentarisation. Elle s’étend de la plaine de Fesguia au sud-ouest à Redjie, Safia au sudest du village, dont le versant rocheux situé sur la rive sud de oued «El-Kleb», au sud du village, a été gravement endommagé pendant la guerre d’Algérie. Une cité de regroupement y avait été établie par l’armée française (voir Marc Côte / Paysage et patrimoine/Guide d’Algérie/ Média-plus Algérie). Ce site, classé patrimoine national en 1968, contient des sépultures très rares (Dolmens, Menhirs, Cromlechs). Le dolmen aux trois menhirs est unique au monde. Ces vestiges de monuments antérieurs à l’occupation romaine et dénommés tantôt celtiques, tantôt mégalithiques par les explorateurs, sont au nombre de 1200. Nous pouvons lire dans la lettre de J.Chabassière à son président de la société archéologique de Constantine (voir Recueil des mémoires de la société archéologique de Constantine de 1886) qui inclut les résultats de ses fouilles sur les ruines et dolmens du Djebel-El-Fortas et de ses contreforts notamment à Ras-El-Aïn et à Sigus, ceci : «Les sépultures sont, ici, en nombre considérable. On peut, et sans crainte d’aucun démenti, fixer à plus de 1200 dolmens, grands ou petits, le nombre de monuments parfaitement apparents sur le sol. Chacun de ces tombeaux renfermait, en moyenne, quatre cadavres. Il s’agit donc d’une population de près de 5000 individus». Aujourd’hui, il reste, selon des spécialistes qui évoquent un véritable «massacre», à peu près, 50 ou 60 monuments éligibles à la réhabilitation. J.Chabassière a fait aussi allusion à des sépultures à incinération dans lesquelles des os d’oiseaux et des dents d’animaux figurant souvent au fond de petits pots de 7 à 12 cm de diamètre et sur autant de hauteur, dont le «Plat à bord creux», déposé au musée de Constantine avec d’autres objets provenant des fouilles de Sigus, qui est, selon lui, au moins aussi intéressant que celui trouvé dans la grotte de «Palmella», en Espagne. Si les archéologues n’ont pas abouti à un consensus quant à l’origine de ces vestiges et à leur appartenance, soit aux gens du Nord, soit aux autochtones, leur réhabilitation offrira certainement à la région un produit touristique de choix.

Lyas Hallas
Source : Soir d'Algérie

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