En raison de la montée du prosélytisme
Au fil des ans, Tkout se détache de Yennayer
Mercredi, 10 janvier 2007

Entre les jeunes et les vieux de la ville de Tkout il n’y a pas photo. Le fossé est immense comme pourrait en témoigner le peu d’engouement des gens de la cité à aller vers la commémoration de Yennayer (Nouvel An berbère), le 2957ème de l’histoire… sans trop de conviction.
C’est du moins clair pour une jeunesse totalement désœuvrée et qui s’est découvert, à défaut de s’adosser aux murs et regarder les gens passer, une passion pour le football et des rencontres homériques organisées contre les éléments de l’ANP dont une unité est installée depuis quelques années entre le chef-lieu de daïra et la commune de Ghassira.
Et, pure coïncidence ou hasard calculé, un tournoi est organisé à chaque début d’année. Celui-ci draine la grande foule, du fait qu’il rassemble les équipes de Chenaouara Est – Taghit (Tifelfel)– Le vieux Tkout– Tighza et l’équipe de l’ANP.
Ainsi, depuis près d’une semaine, ce sont les camions de l’armée archi-bondés de soldats en délire qui traversent la ville à coups de klaxons, emblème au vent et souvent kalachnikovs brandies en l’air. Pour l’œil non averti, les allées et venues de ces cortèges en délire laissaient croire à une opération militaire couronnée de succès contre les terroristes, d’autant plus qu’ils ont repris leurs actions d’une manière spectaculaire notamment au cours du mois de décembre, (affaire de l’hélicoptère abattu à Mchounèche –gardes communaux attaqués et assassinés près de Beniane– assassinat d’un jeune berger). Ce n’est finalement que le jour de la finale qui a eu lieu lundi dernier que tout se saura, d’autant plus que le trophée a été remporté par l’équipe de Tkout jusque-là réservée sur le plan de l’ostentation prématurée. La ville veillera bien tard pour fêter ce succès et c’est là que nous sera donnée l’opportunité de discuter avec quelques jeunes quant à la commémoration du Nouvel An berbère. D’aucuns en connaissent le rituel et nous avouent que leurs grands-mères fêtent Yennayer et mettent d’ailleurs un point d’honneur à le faire même si c’est au désappointement des hommes.
«Seules les filles suivent […] C’est sans doute par instinct maternel», nous dira Mohamed qui ajoutera : «Mais il est évident qu’une fois arrivées à l’âge adulte elles perpétuent la tradition. Il se trouve même que depuis que la ville a connu une extension urbanistique, ceux-là mêmes qui, il y a quelques années, ne rataient pas l’occasion de commémorer cette date […] ne le font plus. Seules finalement les familles qui habitent encore des chaumières à flanc de montagne y vont de bon cœur et avec une conviction confondante.»
Nadir, pour sa part, trouve insolite le fait que sa mère, ses sœurs et ses tantes «décident à la même date de rejoindre une ancienne demeure restée en l’état, en dehors de la ville, pour procéder à un remue-ménage au motif qu’il s’agit de nettoyer les lieux et de les débarrasser des mauvais esprits, conjurer le mauvais sort et pourquoi pas, être pour un futur de bon augure». Selon ce qu’il nous dira, les femmes après avoir nettoyé la masure, la chaulent, déblaient avec attention et minutie l’emplacement du fourneau (gadra) pour en récupérer les pierres, au nombre de trois, qui tenaient lieu de trépied pour les jeter au loin et en ramener de nouvelles en prenant le soin de vérifier ce qui pourrait se trouver sous chacune des trois nouvelles. «C’est simple, la présence de fourmis annonce la multiplication du cheptel […] Un hanneton ou une autre bestiole, ce serait tout bonnement celui du bétail et si ce n’est que de l’herbe […] la moisson sera phénoménale […] Ce qui, à mon sens, relève du rêve psychédélique sachant que tout n’est que rocaille et espaces escarpés.»
Et, avec un sens de l’humour insoupçonnable, il conclura : «A mon avis, tu vois, tout ce beau monde a bien besoin de repasser pour trouver de l’herbe qui nourrira et le cheptel et le bétail.»
Ce n’est pas l’avis de Hadj Mohamed Mustapha qui évoque avec solennité cet événement, ne serait ce que par respect pour les femmes, qui elles, y croient énormément. «Vous savez, moi je trouve qu’il est nécessaire de garder et de perpétuer de telles pratiques dans la mesure où il y a eu jusque-là consensus familial, tribal, régional et ces derniers temps, national. Il est regrettable toutefois que la politique ait rattrapé une tradition, qu’on le veuille ou non bien réelle, pour lancer une OPA visant à la récupérer, voire à la dénaturer et à la limite à en faire un élément identitaire qui pourrait conduire à une forme de dérive.» Cette appréhension du vieil homme trouve effectivement ses raisons et au moins une. Tarek est à peine en sixième année scolaire et pour lui la question est nettement tranchée.
«Tout cela c’est haram et relève de l’ignorance [djihl].» Pour le jeune enfant et même s’il n’arrive pas à l’expliquer autrement, tous les rituels qui tournent autour de Yennayer ressembleraient à du paganisme.
En fait, la ville de Tkout, si ce n’est toute sa périphérie, était connue pour une forme de tolérance prononcée.
Dans l’absolu, il importait peu que les mosquées (il n’y en a d’ailleurs que deux) soient fréquentées ou non et ceux parmi la population qui ne pratiquaient pas ne se faisaient aucun complexe sur le sujet. Néanmoins une forme de prosélytisme s’installe sensiblement et ce ne sont certainement pas les dizaines de personnes dont l’accoutrement rappelle plus Bandahar qu’une ville des Aurès qui en apporteraient la contradiction. En attendant, pour les femmes il est clair que le 14 janvier prochain Yennayer sera commémoré.

A. Lemili
Source : LA Tribune

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