Le Repenti et le Flic
"Tire sur l'uniforme bleu, vert, gris… Tu loueras probablement un strapontin au paradis !" Fetwa- ?!

par Djamel MOKHTARI

Kada et Krimo étaient deux camarades de classe inséparables, en plus du voisinage, un lien de parenté les unissait. Ils avaient toujours fréquenté les mêmes établissements, partagé les mêmes jeux. Mais à mesure qu'ils grandissaient, leurs points de vues et leurs opinions divergeaient. Aussi, ils leur arrivaient souvent d'entrer dans des polémiques et chacun gardait son attitude qu'il défendait. Bref, même s'ils n'étaient pas des adversaires farouches, on pouvait dire qu'ils sont très différents, (trop même). A l'âge de vingt ans, Krimo, qui aimait l'ordre et la discipline, s'enrôla, dans la police. Cela lui avait permis de connaître différents endroits du pays et découvrir un peu plus la société où il vivait, il levait le voile sur la face cachée de la nature humaine. Il fut muté dans un village près de la capitale. En ces temps de terrorisme, il échappa plusieurs fois à la mort lors d'accrochages avec des groupes islamistes. Néanmoins, il fût blessé à l'épaule gauche et demeura deux mois dans un hôpital ! Il n'aurait jamais eu l'idée que celui qui avait visé son coeurr et appuyé sur la gâchette n'était que Kada ! son camarade et proche parent qui voulut mettre fin à ses jours, car entre temps, ce dernier avait pris le maquis en compagnie de quelques jeunes du quartier et ils avaient à leur actif plusieurs assassinats. A sa sortie d'hôpital, Krimo après une convalescence, reprit son service mais il n'avait plus le même engouement. Parfois, il avait l'impression de vivre parmi des gens auxquels il ne pouvait pas se fier. "L'ennemi est peut être dans nos rangs" lui disait une voix intérieure. Après un désaccord avec son supérieur, il démissionna. Ainsi, il se sentait plus libre même s'il manquait d'argent. Il se fit marchand de cigarettes dans un quartier où il était inconnu. Un jour, il reçut des menaces, (écrites sur un bout de papier qu'il trouva sous sa "table") ; le message était clair : "Ne vendez plus jamais le tabac, il est considéré H'ram, sinon vous le regretterez, espèces d'impies ! Dernier ultimatum". Ce jour là, tous les marchands de cigarettes avaient trouvé le même billet ! Pendant plusieurs jours, dans certains quartiers, on ne voyait personne avec une cigarette ! L'on se croirait au mois de Ramadhan, ce n'était que celui de chaâbane.
Quelle confusion entre les mois ! Krimo était en proie à une colère muette qui bouillonnait en lui et qu'exprimaient tous ses traits, mais il ne disait rien à personne. De l'autre côté, Kada continuait dans son "militantisme" sacré et caressait l'espoir de devenir un jour l'émir ! Le temps passe, et voilà qu'un beau jour, c'est le fameux vote pour la Réconciliation nationale. On ne parle plus de crimes commis par les intégristes, ni de jugement mais de "tragédie nationale" ! Un euphémisme hypocrite qu'on ne peut trouver nulle part ailleurs ! "C'était le destin collectif de tout un peuple !" Vous diront certains. On va panser les plaies de part et d'autre et oublier le passé, les morts, les blessés, les handicapés (à vis) les disparus. Et maudire le diable qui en était la cause ! Les veuves s'achèteront des hijabs multicolores (ou fleuris) se débarrasseront du noir et lanceront des you-you en glissant un bulletin bleu dans l'urne blanche. Et la reddition commença : Kada décida, ce vendredi, de se rendre aux autorités (avec son arme). Il arriva avant la prière du dohr, les rues étaient désertes. Notre homme se dirigea tout droit vers le commissariat de police d'un pas ferme, la tête haute et l'air arrogant. On l'aurait pris (ou il se prenait lui-même) pour un héros dans un feuilleton religieux. Il regarda l'agent de service avec un mépris non dissimulé, lui disant d'appeler son chef auquel il allait remettre son arme. Alors, il s'assit sur une chaise pour les formalités d'usage. Le lendemain, il reçut la visite de beaucoup de ses amis. Une quinzaine de jours et on le vit derrière le comptoir d'une immense quincaillerie, vêtu de blanc, coiffé d'un turban extra blanc qui contrastait avec sa barbe noire et touffue, un sourire ironique élargissait son visage plein de vigueur. Par pur hasard, Krimo l'aperçut de loin et lui parcourut le dos. Ainsi, son camarade s'est révélé sous sa propre nature. Maintenant, entre les deux un fossé infranchissable vient de se creuser. L'un croyait défendre les valeurs de la République et l'autre se retrouva fortuné et rêvant d'une autre forme de République ! Et n'ayant aucun compte à rendre à qui que ce soit. L'un et l'autre vivant dans le même village ; Finalement, l'ex flic, rongé par le chagrin et le désespoir, mit fin à ses jours, son ex-camarade assista aux obsèques comme il aurait assisté à une fête. On le vit le même soir, retrousser les manches devant un plat de couscous, réclamant du bouillons ; "C'est son destin" dit il froidement en prenant un gros morceau de viande

(Toute ressemblance avec des personne vivantes au ayant vécu, ne serait que pure coïncidence).

T'kout, Samedi, 30 septembre 2006